Bulla, amulettes et croque-mitaines

La bulla est un bijou protecteur que portaient les enfants romains

Savais-tu que dans l’Antiquité, les enfants, qu’ils soient grecs, romains ou encore gaulois, portaient tous des amulettes et qu’elles avaient quelque chose à voir avec leurs légendes de croque-mitaines ? Partons à Rome à la découverte de ces histoires en rendant visite à Pulla, la nourrice qui s’occupe des enfants de Lucius.

poterie représentant un enfant portant des amulettes dans l’antiquité grecque et romaine
Me voilà dans les rues de Rome de bon matin au milieu des badauds et des enfants se rendant à l’école, quand, pour la 1ère fois, mon regard s’attarde sur les petits bijoux que portent ces enfants autour du cou ou bien même parfois en travers de la poitrine. Ces bijoux sont de formes diverses et variées. Des demi-lunes, de grosses bulles d’or, des dents d’animaux… mais aussi des petits bracelets tressés et colorés noués autour de leurs poignets ou chevilles. A quoi servent-ils au juste ?

Je me rends dans la villa où Pulla exerce le métier de nourrice et lui dis combien je suis étonnée que les petits romains et les petites romaines soient, dès leur plus jeune âge, déjà parés comme le seraient les dames. Elle m’arrête tout de suite. Même si ces bijoux ont une part décorative, ce n’est pas là leur objectif premier.

Les croques-mitaines dans l’Antiquité

strige-croque-mitaine-antiquite
Tout en s’occupant du nourrisson de la famille, Pulla m’explique que, derrière ces petits bijoux, se cachent de sombres légendes. La nuit, autour des berceaux des enfants, rôdent des créatures inquiétantes : Lamia, Gellô, Mormô ou encore les Striges. On raconte que ces démones s’immiscent dans les chambres des petits enfants pour n’en faire qu’une bouchée. Alors, pour éloigner ces monstres, on recourt à la magie, à des gris-gris dont on va parer les enfants dans l’âge où ils sont les plus vulnérables et les plus appétissants.

Les récits des nourrices

Voyant la curiosité animer mon regard, Pulla s’installe dans une chaise et, tout en berçant le nourrisson qui gémit doucement, me raconte les récits de ces monstres qu’elle tient elle-même de sa propre nourrice.

Lamia, le chagrin en partage

Commençons par Lamia. On pourrait avoir pitié de Lamia si on ne devait pas plutôt la redouter, car c’est le malheur qui a fait d’elle un monstre. La folie s’est emparée d’elle après avoir vu mourir tous ses enfants les uns après les autres. Depuis, cette mère rongée par le chagrin s’en prend aux enfants des autres femmes pour qu’elles la rejoignent dans sa douleur.

Gellô, la rancœur incarnée

Il faut se méfier aussi des visites de Gellô. Elle est morte sans connaître les joies du mariage et encore moins celles de la maternité. Elle en garde depuis une rancœur et une haine éternelles envers toutes les jeunes mères et se venge du bonheur qui lui a été volé en tuant leurs enfants.

Mormô, la dévoreuse d’enfants

Venons-en à la pire de toutes : Mormô. Un beau soir, une folie meurtrière s’est emparée de Mormô qui a dévoré ses propres enfants avant de prendre la fuite pour aller on ne sait où. Et si son appétit n’était toujours pas satisfait ? Peut-être rôde-t-elle encore dans les rues en quête d’une porte négligemment laissée ouverte pour se pencher au-dessus d’un berceau, les babines frétillantes à la seule vue d’un bébé à la chair si tendre.

Les Striges,

Les Striges, quant à elles, se contenteront de fenêtres pour rendre visite aux petits enfants. Peu importe que l’enfant soit à l’abri à l’étage de la maison, les Striges ne s’embarrassent pas d’escaliers, car ce sont des oiseaux de proie qui volettent au-dessus des berceaux pour déchirer le corps des petits nourrissons et se repaître de leurs entrailles gorgées de lait.

La face obscure de la féminité

Un grand silence plane dans la chambre. Je n’ose pas le briser, car le nourrisson s’est endormi dans les bras de Pulla. Les récits horribles de sa nourrice ne l’ont pas empêcher de se laisser abandonner au sommeil. En revanche, je me fais cette réflexion que, mises à part les Striges, les dangers que courent les bébés, ne sont ni les loups, ni les rats… mais bien des femmes, comme si Gellô, Mormô et Lamia étaient là pour rappeler à tous la face obscure de chaque femme.

Comme si ces revenantes venaient hanter les récits des vivants pour rappeler à tout un chacune que derrière chaque mère parfaite est tapi un monstre qui gronde, que derrière toute carresse d’amour maternel peut se glisser parfois un geste de mort.

Voilà donc les histoires avec lesquelles les nourrices bercent les petits enfants. Sur ce, bonne nuit ! ou plutôt Bonam noctem !


Dans l’atelier du linguiste

Les Grecs et les Romains avaient plusieurs mots pour désigner ces bijoux protecteurs. Nous pouvons répartir ces mots en 3 catégories.

Les mots pour désigner… :

Le bijou aux propriétés médico-magiques Le bijou qu’on porte
sur soi
Un bijou à la forme particulière
  • Praebia
    (issu du verbe latin praebere = fournir une protection)
  • Remedia
    (= remèdes en latin), Prophulaktika ou Phusika en grec
  • Fascinum en latin
    (ce mot désigne le mauvais œil, mais aussi l’objet qui le détourne)
  • Ligatura/alligatura en latin ; periammata/ periapta en grec
  • Amuletum dérivé de l’arabe hamilat/ hamal qui exprime l’idée de porter
  • Lunula en latin, Selenis en grec
  • Bulla en latin

Dans la zone de fouilles de l’archéologue

Comment sait-on que les enfants portaient des amulettes ?

Plusieurs sources sont à notre disposition :
1° Les tombes d’enfant dans lesquelles ont été retrouvées des bijoux en matière non périssable.
2° L’iconographie (statues, décor des vases peints, fresques…) qui nous a permis de connaître l’existence de bijoux en matière périssable, comme les bracelets en cordelettes colorées.

Céramique grecque représentant des enfants et leurs amulettes
Chous attique, photo tirée de l’article Le hochet d’Archytas : Un jouet pour grandir.

3° Les sources littéraires, comme Histoires Naturelles de Pline l’Ancien.

Les grandes cornes des scarabées, lesquelles sont dentelées, attachées au cou des enfants, ont la propriété des amulettes.

Extrait du Livre XXX, traitant des remèdes fournis par les animaux, paragraphe 138 (à retrouver sur remacle.org).

Car je regarde comme une fable ce qu’on dit des striges, qu’elles instillent le lait de leurs pis dans la bouche des enfants. Sans doute depuis longtemps le mot de strige est une injure, mais je ne pense pas qu’on sache quel est cet oiseau.

Extrait du Livre XI, paragraphe 232 (sur remacle.org).


Bibliographie

Dasen Véronique. Les amulettes d’enfants dans le monde gréco-romain. In : Latomus, T. 62, Fasc. 2 (AVRIL-JUIN 2003), pp. 275-289.

 

 

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