Ariane, Jennifer Saint

Roman Ariane de Jennifer Saint, une réécriture du mytheDans ce roman sorti en 2023, Jennifer Saint déroule le fil de l’histoire d’Ariane, cette princesse crétoise dont le destin reste et restera à jamais intimement lié à la défaite d’un monstre et à la victoire d’un héros.

L’originalité de ce roman est que l’autrice dépasse des frontières du mythe en ne s’arrêtant ni au labyrinthe, ni à l’abandon d’Ariane par Thésée. Elle prend de la hauteur et dessine une fresque familiale. Jennifer Saint creuse ce qui fait la singularité d’Ariane en s’intéressant à ses liens familiaux : Ariane est la fille de Minos, un roi inflexible qui impose sa domination sur Athènes et dans son palais par la terreur, mais aussi la fille de Pasiphaé, une mère autrefois rayonnante, mais désormais effacée par le fardeau de la honte. Elle est la sœur de Phèdre, si différente d’elle, tellement plus déterminée qu’elle, mais aussi la sœur du Minotaure qui lui inspire honte, terreur et pitié.    

Jennifer Saint plonge également dans les profondeurs en sondant l’âme d’Ariane. Pourquoi une princesse crétoise se déciderait à trahir son père en laissant un prince grec détruire l’instrument de leur puissance ? N’était-elle vraiment mue que par un amour soudain pour Thésée ? Qu’aimait-elle à travers lui, que désirait-elle ? Quels espoirs secrets l’animaient ? 

Ce roman est un bel hommage rendu à un personnage mythologique assez effacé. Il est servi par une belle écriture et j’ai pris plaisir à le lire même si je n’ai pas été emportée et touchée comme j’ai pu l’être par les récits de Madeline Miller, et qu’il manque un peu de cette densité et de cette profondeur que j’ai trouvées dans Le Chant d’Achille. 

J’ai cependant grandement apprécié le fait qu’elle retrace la fresque familiale  à laquelle appartient Ariane. Cette princesse crétoise s’inscrit dans un tout et c’est en explorant ce tout qu’on peut approcher de ce qui fait la singularité de ce personnage. Les mythes grecs et toute la littérature qui par la suite s’en est inspiré avec des réécritures diverses et variées peuvent, en effet, un peu nous laisser confus sur la logique d’ensemble, sur les liens entre les différents personnages et la chronologie. Avec Ariane de Jennifer Saint, on retrouve une logique d’ensemble, une continuité entre différents mythes qui pouvaient nous paraître indépendants les uns des autres. L’histoire d’Ariane se raccroche au labyrinthe de Dédale et à sa fuite avec son fils Icare, mais aussi à celle de sa sœur Phèdre et de sa tragique histoire d’amour non réciproque avec Hippolyte ou encore à celle de Dionysos, un jeune dieu qui cherche à faire sa place parmi ses pairs. L’autrice s’est plu à tisser une histoire pleine d’autres histoires dans lesquelles Ariane est au coeur de certains mythes, dans la continuité et à l’origine d’autres. 

J’ai apprécié aussi le fait qu’elle fasse ressortir certains motifs, qu’elle fasse apparaître certaines logiques. Je pense notamment à ce qui est arrivé à Ariane, c’est-à-dire son abandon par Thésée, et qui est expliqué par un précédent, c’est-à-dire l’abandon de Médée par Jason. Dans chacune des deux situations, un héros grec se fait aider par une princesse barbare prétendument aimée, puis abandonnée. Enfin j’ai trouvé la psychologie des personnages intéressante. Jennifer Saint se concentre essentiellement sur la psychologie des deux sœurs, Ariane et Phèdre, dont les caractères et les vies s’opposent et auxquelles la romancière donne la parole à tour de rôle. C’est d’ailleurs un aspect du roman que j’ai beaucoup apprécié. 

Echidna, la mère de tous les monstres

Nous voilà atterris par magie au pays des Arymes. Dans les entrailles des montagnes de la Cilicie, en Troade. Là où le monde d’avant a commencé, celui des monstres. Quand Zeus n’avait pas encore détrôné son père Cronos qui lui-même n’avait pas encore détrôné son père Ouranos. Seule la magie pourra nous sortir de là. Nul ne pourra nous sauver à part elle car personne n’a jamais trouvé l’emplacement du pays des Arymes.

A peine échangeons-nous quelques mots qu’une vague inquiétude nous gagne. Nos voix ricochent sombrement en échos sur les parois. Les échos sont partis annoncer que nous sommes là. Nos cheveux se dressent sur nos têtes quand, quelques secondes après le dernier écho, nous entendons au loin un sifflement lugubre, suivi du bruit d’un corps rampant que nous devinons immense. Nous suivons sa progression à ses écailles qui râpent le sol et charrient à sa suite les rochers. Nos cœurs se décrochent presque de notre cage thoracique quand nous voyons des ombres ondulantes jaillirent sur les parois.

Peu après surgit à la lumière de nos torches la fille du Chaos, la vipère des premiers temps, la mère de tous les monstres, Echidna. Nos cœurs s’arrêtent de battre un instant. Nous voyons d’abord ses deux mains de géant s’agripper aux hauteurs de la grotte, puis sa tête à la chevelure noire en frôler la cime et enfin son torse. Sa beauté de femme est étrange et ensorcelante et son regard a la profondeur du Chaos. Elle pose ses mains au sol et fait venir à elle sa queue de serpent qui s’enroule autour d’elle avec la tranquillité et la puissance d’un fleuve. Nos regards hypnotisés s’attardent sur ses écailles dont les couleurs changent au flamboiement dansant de nos torches.

Echidna est une créature si sublime et terrifiante que personne n’ose prendre la parole. Elle ne montre pas les crocs, elle semble attendre. Elle a accepté notre invitation. Nous voulons qu’elle nous parle de ses enfants, ceux qu’elle a eus avec Typhon.

Médée, Euripide

Les tragédies d’Euripide, volume 1Euripide, misogyne ? Accusation un peu facile quand on sait que, dans ses pièces et surtout dans Médée, les femmes, conscientes de l’injustice qu’elles subissent, sont loin d’être des oies blanches. Soit elles se contentent de sauver leur peau, comme Andromaque, soit elles se vengent, comme Hécube ou Médée… D’ailleurs, dans cette pièce, ne vous étonnez pas que Jason n’ait pas l’étoffe d’un héros. Euripide en a fait un salaud.

Médée est une magicienne redoutable qui traîne derrière elle une réputation sulfureuse. Femme savante, intelligente, puissante, Médée inquiète. Sans elle, Jason n’aurait jamais pu récupérer la toison d’or, ni sortir vivant de sa quête. Pour le suivre, elle a dû trahir sa famille, sa patrie et se rendre coupable d’un meurtre qui lui interdit tout retour. Après plusieurs années de vie commune et après avoir fondé une famille, Jason lui fait l’affront de la quitter pour une autre.

Si Médée n’était qu’une femme comme les autres, il lui aurait fallu subir et souffrir sans souffler mot l’insulte et l’humiliation, observer avec regret la somme des sacrifices qu’elle n’aurait jamais dû faire pour un homme. Mais Médée n’est pas une mortelle comme les autres. Jason l’apprendra à ses dépends. Sa nourrice ne le sait que trop bien, elle qui dira

Je la connais bien et je la redoute. Elle est terrible. Et qui s’en prend à elle aura fort à faire avant de chanter victoire.

Nectar et Ambroisie : À la table des dieux

Invitons-nous à la table des dieux ! C’est l’échanson(1) Ganymède qui mène la visite sur les hauteurs de l’Olympe. Il nous présente le menu du jour, et nous voilà fort perplexes : nectar et ambroisie à l’entrée… au plat… et au dessert ! En tant qu’ancien mortel(2), Ganymède comprend notre désappointement. Eh oui, les dieux ne se délectent que de nectar et d’ambroisie. Mais qu’est-ce au juste que le nectar et l’ambroisie ?

Ganymède débouche une amphore et verse un liquide rouge dans une coupe d’or. « Voici le nectar » , nous présente-t-il. « Il est aussi doux et sucré que le vin des mortels ». Avant que nous ne trempions nos lèvres dans le divin breuvage, l’échanson nous retire la coupe. Frustrés, nous décidons de porter notre attention sur l’ambroisie. Nous déduisons que si le nectar est la boisson des dieux, alors l’ambroisie est leur nourriture. L’œil de Ganymède se met à pétiller. « Mieux que ça » . Il se met alors à nous raconter plusieurs anecdotes divines pour nous montrer l’étendue des vertus de cette mystérieuse substance qu’est l’ambroisie.

« Les déesses de l’Olympe en raffolent ! Il n’est pas rare de voir Héra s’oindre d’ambroisie de la tête au pied pour reconquérir ce mari volage qu’est Zeus et tous les jours la chevelure de l’exquise Aphrodite embaume d’ambroisie les couloirs du palais de l’Olympe. Il arrive aussi que les dieux fassent profiter leurs mortels préférés des pouvoirs de l’ambroisie. Quand, au terme de vingt longues années d’errance, Ulysse est revenu chez lui, Athéna a appliqué de l’ambroisie sur le corps de son épouse endormie, Pénélope, pour effacer les traces de vieillesse et la faire paraître plus resplendissante que jamais. Sur les champs de bataille de Troie, les dieux se sont également servis de l’ambroisie, mais cette fois-ci pour guérir les blessures des Achéens et pour en oindre les dépouilles des héros afin de les préserver de la pourriture. »

Ces anecdotes dites, il nous reste difficile de saisir à quoi peut bien ressembler cette fabuleuse substance qui nourrit, guérit, parfume et préserve ! Si nous pouvions comparer l’ambroisie à une substance consommée par les mortels d’ici bas, elle se rapprocherait sans doute du miel qui peut être aussi bien liquide, que crémeux ou solide, qui peut être mangé, mais aussi être utilisé comme un soin beauté ou un baume médicinal.

Nous nous tournons de nouveau vers Ganymède, « Mais après tout, qu’ont-ils besoin de manger ? Ce sont des dieux après tout ! Manger ne leur sert pas à vivre, puisqu’ils sont immortels… à moins que l’immortalité ne leur soit donnée par l’ambroisie ? ». Ganymède eut un sourire mystérieux « Nul mortel n’est autorisé à percer le secret d’immortalité des dieux ». A peine avons-nous cligné des yeux, que nous voilà non plus sur les hauteurs de l’Olympe, mais à son pied.

Les dieux pourraient-ils n’être que des mortels qui ont trouvé un remède contre la mort, un philtre d’immortalité ? Nous rendons visite au Professeur Chantraine pour nous éclairer sur l’origine de ces mots. « Vous et moi, mes chers, nous sommes des brotoï, c’est-à-dire des mortels, contrairement aux ambrotoi que sont les dieux. Il y a tout lieu de croire que le mot « am-broisie » veuille dire « essence d’immortalité ». Quant au mot nectar, il pourrait vouloir dire « qui traverse l’immortalité ». Il a été émis l’idée que le nectar éloignerait celui qui en consommerait d’une mort accidentelle et que l’ambroisie le préserverait de la vieillesse naturelle du corps. Mais, entendons-nous bien, ce ne sont là que des hypothèses, des idées, car rien n’est certain dès qu’il s’agit du monde mystérieux des dieux… ».

Notes
(1) Un échanson est celui qui sert la boisson à la table des dieux.
(2) Ganymède était un beau jeune homme dont est tombé amoureux Zeus. Pour le garder toujours près de lui, il le rendit immortel et le fit échanson officiel de l’Olympe. Il verse pour l’éternité le nectar dans la coupe des dieux !


Bibliographie

Adeline Grand-Clément, « La saveur de l’immortalité : les mille et une vertus de l’ambroisie et du nectar dans la tradition homérique », Pallas [En ligne], 106 | 2018, mis en ligne le 23 août 2018, consulté le 28 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/pallas/5283

Circé de Madeline Miller

Avec ce roman, j’ai plongé avec délices dans l’univers merveilleux de la mythologie ! Après Achille, Madeline Miller s’est attaqué cette fois-ci au personnage de Circé, cette magicienne mythique qui transforma les compagnons d’Ulysse en cochons, et encore une fois, son style fait mouche ! De sa très belle écriture, elle dresse le portrait tout en nuances de cette sorcière des temps les plus reculés. Une vie (mythique !) d’autant plus passionnante que c’est Circé elle-même qui nous la raconte. Au fil de ces pages, vous croiserez son père Hélios, son oncle Prométhée, sa sœur Pasiphaé, Minos, Dédale, Ulysse, Scylla, Médée, son amant Hermès et bien d’autres. Bref ! Si vous êtes un passionné de mythologie, je vous conseille à 100% cette lecture. J’attends maintenant avec impatience la sortie de son prochain roman et je suis très curieuse de savoir sur quel personnage elle jettera son dévolu.

Nymphe, Naïade, Dryade… Quelles différences ?

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Faute d’être des déesses ou des héroïnes, les nymphes si discrètes ont bien du mal à attirer l’attention. Un paradoxe pour ces êtres qui peuplent la plupart des mythes grecs et romains et qui nous sont si familiers. Comme on ne les connaît que vaguement, elles ont attiré mon attention. Et autant vous le dire, sous leurs airs effacés, elles sont passionnantes !

Qu’est-ce qu’une nymphe ?

Si les nymphes apparaissent dans de nombreuses histoires, leur nature n’est bien souvent qu’à peine évoquée. Une petite mise au point s’impose donc.

Les nymphes ne sont ni des déesses, ni de vulgaires mortelles. Elles sont donc destinées à mourir, mais seulement au terme d’une très longue vie ! Et cette très longue vie se mesure à celle des montagnes, des forêts, des ruisseaux, car les nymphes sont les esprits de la nature, leur personnification.

Les différentes espèces de nymphes

Venons-en à la question posée en titre de cet article. Nymphes, naïades, dryades…quelles différences ? Vous l’aurez compris, “nymphe” rassemble sous son nom tout un cortège d’espèces différentes. On en dénombre au moins 6 types déterminés par les lieux naturels qu’elles habitent.

Les nymphes aquatiques

  • Les Naïades sont les nymphes des sources, des ruisseaux, des fleuves.
  • Les Océanides, filles d’Océan et de Téthys, vivent dans les fonds marins.
  • Les Néréides, les 50 filles de Nérée et de Doris, forment le cortège de Poséïdon. Thétis, la mère d’Achille, et Galatée en sont les plus célèbres représentantes.
  • Les Hyades sont les nymphes de la pluie. Leur nom vient du verbe grec huô (faire pleuvoir). Elles sont connues pour avoir été les nourrices de Zeus et de Dionysos.

Les nymphes terrestres

  • Les Oréades sont les nymphes des montagnes qui accompagnent la déesse Artémis dans ses chasses. La plus fameuse d’entre elles est Écho (cf. son histoire avec Narcisse). Leur nom vient du grec oros (la montagne).
  • Les Dryades sont les nymphes des arbres et plus particulièrement des chênes dont elles tirent leur nom (drus en grec). Eurydice, la fiancée d’Orphée, est une Dryade.