Sais-tu que les grandes familles romaines avaient chez eux de drôles de masques ? Pour en savoir plus à leur sujet, rendons visite à Lucius, dans sa domus* située en plein cœur de Rome. Il ne nous emmène pas bien loin, car ces masques se trouvent dans l’atrium, autrement dit dans la première pièce qui s’offre aux regards des visiteurs.
Sur un pan de mur de l’atrium, se trouve une armoire fermée par un rideau dont le contenu n’est exposé à la vue de tous que lors de grandes occasions. Ça tombe bien, Lucius vient d’accéder à une magistrature. Voilà une belle occasion de fêter ça en conviant sa famille et ses amis, mais aussi… ses ancêtres prestigieux ! Il tire le rideau et les masques apparaissent, chacun dans leur niche. Lucius peut, sans rougir, s’exposer au regard de ses ancêtres dont les traits ont été immortalisés dans ces masques de cire. Avec un tel poste, en effet, ils ont de quoi être fiers de leur descendant.
L’arbre généalogique des grandes familles
Pour parler de ces masques, Lucius utilise l’expression “maiorum imagines”, c’est-à-dire “les images de ses ancêtres”. Il nous explique que ces masques ne sont pas disposés au hasard dans l’armoire. Ils sont, en effet, rangés de façon à reproduire l’arbre généalogique de sa famille. Les tituli, ces petites pancartes qui accompagnent chaque masque pour indiquer son nom et ses titres de gloire, sont reliés entre eux par des bandelettes de lin pour figurer la filiation. Il ajoute qu’à la base de l’arbre généalogique des familles les plus anciennes et les plus prestigieuses figurait bien souvent un ancêtre mythique ou divin.
À bien y regarder, on ne trouve aucun masque de femme ni d’enfant… Eh oui, dans l’arbre généalogique, n’a pas son masque qui veut ! Seul un homme noble, ayant exercé une magistrature curule et n’ayant pas été condamné par la justice a le droit à cet honneur. Et encore faut-il ne pas découvrir après sa mort qu’il ait été coupable de quelque méfait au risque de voir son masque retiré de l’arbre généalogique et brisé pour être voué à l’oubli !
Lucius nous apprend que ses deux sœurs ont emporté dans la maison de leurs époux des copies des masques de leurs ancêtres pour les ajouter à l’arbre généalogique de leur nouvelle famille.
Des ancêtres pour accompagner le mort
Lucius nous raconte comment, enfant, il a appris l’histoire de ses aïeux lors de la mort de son père. Il se souvient que son corps avait été exposé dans l’atrium et que le rideau de l’armoire avait été tiré pour que ses ancêtres veillent sur sa dépouille.
Puis vint le moment où il fallut emmener le corps de son père dans sa dernière demeure. Les masques furent retirés de l’armoire et portés par des comédiens, qu’on appelle histrions – ce qui laissa au petit Lucius une forte impression. En plus du masque, chaque histrion avait revêtu le costume qui correspondait au plus haut rang que l’aïeux avait atteint au cours de sa vie. Le cortège se mit en route et prit le chemin du Forum avec à sa tête les ancêtres paradant dans un char.
Arrivés aux Rostres, cette tribune où les orateurs prennent la parole, les histrions s’assirent sur un banc et un discours fut prononcé sur son défunt père, suivi d’un deuxième discours dans lequel furent rappelés les exploits et les vertus de chacun de ses ancêtres qui avaient eu droit à un masque. Ces mots restèrent gravés dans la mémoire du petit Lucius, tant et si bien que maintenant encore il se les remémore pour prendre la meilleure décision, celle qui le rendrait digne de ses ancêtres. Son père, semble-t-il, n’avait pas démérité, car son masque trône désormais dans l’atrium aux côtés de ses aïeux les plus illustres, dans l’arbre généalogique de sa famille.
Comment fabriquait-on les masques en cire ?
Vraisemblablement, l’artisan créait d’abord un moule en coulant du plâtre sur le visage de la personne rasé de près et oint. Pour qu’elle puisse respirer pendant l’opération, l’artisan mettait une paille dans chacune de ses narines. Une fois le moule en plâtre sec, il l’enduisait d’huile, puis coulait de la cire à l’intérieur. Il retirait le masque de cire du moule, procédait aux dernières corrections et ajoutait des pigments pour le rendre le plus ressemblant possible à son modèle.
Image tirée de l’article “Wax and plaster memories : Children in Elite and non-Elite Strategies”.
Pour les Romains, adeptes du trompe l’œil, la cire était un matériau formidable pour donner aux portraits un réalisme confondant de vérité, si bien que beaucoup d’auteurs ont pu écrire que ces masques des ancêtres qui trônaient dans l’atrium paraissaient vivants. Mais c’était aussi un matériau très fragile. Les plus vieux masques figurant dans l’arbre généalogique d’une famille finissaient tous par perdre leur éclat d’antan, s’effritaient et étaient noircis par les fumées des braseros. Cependant, ils se gardaient bien de nettoyer ces masques, de les restaurer ou encore d’en refaire des copies toutes neuves à partir des moules en plâtre dont ils disposaient. En effet, plus le masque était abîmé par le temps, plus cela lui ajoutait de la valeur, car cela montrait l’ancienneté de la famille.
Bibliographie
Molinier Arbo Agnès. Sous le regard du Père : les imagines maiorum à Rome à l’époque classique. In: Dialogues d’histoire ancienne, vol. 35, n°1, 2009. pp. 83-94.
Dasen Véronique. Wax and plaster memories.: Children in Elite and non-Elite Strategies. In: Children, Memory, and Family Identity in Roman Culture, 2010. pp. 109-145.