Les Acharniens, Aristophane

Oeuvres complètes d’Aristophane, auteur de comédies

Bien qu’elle ne soit que la 3e pièce d’Aristophane, c’est bien la comédie Les Acharniens qui ouvre le 1er tome de ses Œuvres complètes, car la 1ère en date qui nous soit restée de son oeuvre. Les Acharniens, qui donnent le titre à cette pièce, sont les habitants du dème d’Acharnes, un bourg dépendant d’Athènes. 

Alors en pleine guerre du Péloponnèse qui oppose Athènes à Sparte, le charbonnier Justinet, habitant d’Acharnes, en a plus qu’assez et décide en douce de faire une trêve personnelle avec leurs ennemis pour retrouver toutes les joies de la paix : la bonne bouffe, la bonne chère, bien au chaud chez lui.

 Quand les Acharniens ont vent de la nouvelle, ils sont furieux, crient à la trahison et veulent s’en prendre à Justinet : leurs terres ont été ravagées par les Spartiates et ils comptent bien continuer à se venger. Mais à le voir si bien profiter de la vie, il se pourrait bien qu’ils flanchent et changent d’avis sur la question. 

Ce n’est pas la meilleure des pièces que j’ai pu lire d’Aristophane avec quelques traits d’humour obscène (même s’il ne faut pas s’en étonner de sa part) et une intrigue pas très poussée. Cette lecture est néanmoins intéressante pour ce qu’elle raconte de la guerre : les guerres longues se ressemblent toutes, quel que soit le siècle, avec ses privations, son commerce noir, ses délateurs, un désir de vengeance jamais étanché de ceux qui la subissent depuis des années et qui ont vu leurs biens détruits ou leurs proches tués.

J’ai trouvé également intéressantes les adresses « directes » d’Aristophane par l’intermédiaire de son personnage Justinet dans lesquelles il fait allusion au procès intenté par Cléon à Aristophane pour avoir médit d’Athènes et de sa politique dans ses précédentes comédies lors de fêtes accueillant des pays voisins. Ce qui vaut à Cléon, ce personnage politique de premier plan à Athènes, une détestation non déguisée de la part d’Aristophane, exprimée sans ambage sur la place publique et inscrite à jamais dans ses comédies.

Ariane, Jennifer Saint

Roman Ariane de Jennifer Saint, une réécriture du mytheDans ce roman sorti en 2023, Jennifer Saint déroule le fil de l’histoire d’Ariane, cette princesse crétoise dont le destin reste et restera à jamais intimement lié à la défaite d’un monstre et à la victoire d’un héros.

L’originalité de ce roman est que l’autrice dépasse des frontières du mythe en ne s’arrêtant ni au labyrinthe, ni à l’abandon d’Ariane par Thésée. Elle prend de la hauteur et dessine une fresque familiale. Jennifer Saint creuse ce qui fait la singularité d’Ariane en s’intéressant à ses liens familiaux : Ariane est la fille de Minos, un roi inflexible qui impose sa domination sur Athènes et dans son palais par la terreur, mais aussi la fille de Pasiphaé, une mère autrefois rayonnante, mais désormais effacée par le fardeau de la honte. Elle est la sœur de Phèdre, si différente d’elle, tellement plus déterminée qu’elle, mais aussi la sœur du Minotaure qui lui inspire honte, terreur et pitié.    

Jennifer Saint plonge également dans les profondeurs en sondant l’âme d’Ariane. Pourquoi une princesse crétoise se déciderait à trahir son père en laissant un prince grec détruire l’instrument de leur puissance ? N’était-elle vraiment mue que par un amour soudain pour Thésée ? Qu’aimait-elle à travers lui, que désirait-elle ? Quels espoirs secrets l’animaient ? 

Ce roman est un bel hommage rendu à un personnage mythologique assez effacé. Il est servi par une belle écriture et j’ai pris plaisir à le lire même si je n’ai pas été emportée et touchée comme j’ai pu l’être par les récits de Madeline Miller, et qu’il manque un peu de cette densité et de cette profondeur que j’ai trouvées dans Le Chant d’Achille. 

J’ai cependant grandement apprécié le fait qu’elle retrace la fresque familiale  à laquelle appartient Ariane. Cette princesse crétoise s’inscrit dans un tout et c’est en explorant ce tout qu’on peut approcher de ce qui fait la singularité de ce personnage. Les mythes grecs et toute la littérature qui par la suite s’en est inspiré avec des réécritures diverses et variées peuvent, en effet, un peu nous laisser confus sur la logique d’ensemble, sur les liens entre les différents personnages et la chronologie. Avec Ariane de Jennifer Saint, on retrouve une logique d’ensemble, une continuité entre différents mythes qui pouvaient nous paraître indépendants les uns des autres. L’histoire d’Ariane se raccroche au labyrinthe de Dédale et à sa fuite avec son fils Icare, mais aussi à celle de sa sœur Phèdre et de sa tragique histoire d’amour non réciproque avec Hippolyte ou encore à celle de Dionysos, un jeune dieu qui cherche à faire sa place parmi ses pairs. L’autrice s’est plu à tisser une histoire pleine d’autres histoires dans lesquelles Ariane est au coeur de certains mythes, dans la continuité et à l’origine d’autres. 

J’ai apprécié aussi le fait qu’elle fasse ressortir certains motifs, qu’elle fasse apparaître certaines logiques. Je pense notamment à ce qui est arrivé à Ariane, c’est-à-dire son abandon par Thésée, et qui est expliqué par un précédent, c’est-à-dire l’abandon de Médée par Jason. Dans chacune des deux situations, un héros grec se fait aider par une princesse barbare prétendument aimée, puis abandonnée. Enfin j’ai trouvé la psychologie des personnages intéressante. Jennifer Saint se concentre essentiellement sur la psychologie des deux sœurs, Ariane et Phèdre, dont les caractères et les vies s’opposent et auxquelles la romancière donne la parole à tour de rôle. C’est d’ailleurs un aspect du roman que j’ai beaucoup apprécié. 

L’Antre des Louves, Elodie Harper

Couverture du roman L'Antre des Louves, d'Elodie HarperParu en 2022, L’Antre des Louves est le premier roman d’Elodie Harper. Une plongée dans la célèbre cité antique de Pompéi pour le moins original puisque l’histoire se déroule dans un lupanar, les maisons de prostitution de l’époque.

Pompéi, 74 avant J.-C.

Alors qu’il y a peu encore, elle était libre et fille de médecin dans une petite ville grecque paisible, Amara se retrouve à devoir marchander son corps au lupanar de L’Antre des Louves, à Pompéi.

Dans le petit microcosme du lupanar, Amara va devoir faire sa place entre un maître cruel à souhait et ses comparses qui, chacune, supportent sa douleur différemment.

Depuis qu’elle a passé le seuil de L’Antre des Louves, Amara n’a qu’un souhait : forcer la chance et faire dévier le cours de son destin, même si ce n’est pas chose aisée quand on est une femme dont la bonne ou mauvaise fortune est soumise à la volonté des hommes. Pour vivre une vie meilleure que celle qui lui est offerte par le lupanar, elle n’a d’autre choix que de feindre, mentir, manipuler, mais aussi de renoncer.

L’Antre des Louves a été une bonne lecture et un roman agréable à lire. Au cours de ma lecture, je pensais ne pas m’être tant attachée aux personnages jusqu’à ce que le sort de l’un des personnages vers la fin du roman ne m’arrache quelques larmes. On se prend donc assez rapidement à l’intrigue et je me laisserai sans doute un jour tenter par sa suite La Maison à la porte dorée !

Le Cyclope, Euripide

Les tragédies d’Euripide, volume 1

Parmi les très rares drames satyriques qui nous sont restés, il y a Le Cyclope. Euripide y revisite avec facétie un célèbre épisode de l’Odyssée d’Homère où Silène et ses satyres seraient de la partie… 

Le tout jeune dieu Dionysos a été enlevé par des pirates. Ni une, ni deux, son protecteur, Silène, et ses ouailles, les satyres, prennent la mer pour partir à sa recherche et le sauver. Mais leur navire fait naufrage et les créatures de Dionysos se retrouvent sur l’île aux Cyclopes. L’aventure pourrait s’arrêtait là si cette joyeuse compagnie n’était devenue l’esclave du cyclope Polyphème. Tous les spectateurs qui connaissent l’histoire originelle sur le bout des doigts attendent de voir à quelle sauce Euripide va revisiter l’arrivée d’Ulysse sur l’île et ce qu’il adviendra de ces compagnons qui ne jurent que par le vin et autres plaisirs.

 

Alceste, Euripide

Les tragédies d’Euripide, volume 1Au lieu d’un drame satyrique, Euripide propose à ses spectateurs une petite étrangeté, la pièce Alceste, une tragédie à fin heureuse dans laquelle le roi Admète, époux d’Alceste, ne brille pas par sa noblesse d’âme.

Pour s’être vengé du meurtre de son fils Asclépios en tuant les Cyclopes qui fabriquent les foudres de Zeus, l’arme responsable de sa mort, Apollon a été puni par Zeus à servir pendant un certain temps le roi Admète. En reconnaissance de son hospitalité, Apollon lui évite sa mort imminente en s’arrangeant avec les Parques. Mais en échange, Admète doit trouver quelqu’un pour mourir à sa place…

Peut-on demander à quelqu’un de mourir à sa place sans être égoïste et lâche ? Une vie en vaut-elle mieux qu’une autre ? Les parents ont-ils un devoir de sacrifice ? Voilà une petite pièce qui ne laisse pas indifférent et un personnage, Admète, qui inspire au lecteur des sentiments bien loin de ceux auxquels on s’attend en lisant une tragédie : dégoût, incompréhension, jugement.

Médée, Euripide

Les tragédies d’Euripide, volume 1Euripide, misogyne ? Accusation un peu facile quand on sait que, dans ses pièces et surtout dans Médée, les femmes, conscientes de l’injustice qu’elles subissent, sont loin d’être des oies blanches. Soit elles se contentent de sauver leur peau, comme Andromaque, soit elles se vengent, comme Hécube ou Médée… D’ailleurs, dans cette pièce, ne vous étonnez pas que Jason n’ait pas l’étoffe d’un héros. Euripide en a fait un salaud.

Médée est une magicienne redoutable qui traîne derrière elle une réputation sulfureuse. Femme savante, intelligente, puissante, Médée inquiète. Sans elle, Jason n’aurait jamais pu récupérer la toison d’or, ni sortir vivant de sa quête. Pour le suivre, elle a dû trahir sa famille, sa patrie et se rendre coupable d’un meurtre qui lui interdit tout retour. Après plusieurs années de vie commune et après avoir fondé une famille, Jason lui fait l’affront de la quitter pour une autre.

Si Médée n’était qu’une femme comme les autres, il lui aurait fallu subir et souffrir sans souffler mot l’insulte et l’humiliation, observer avec regret la somme des sacrifices qu’elle n’aurait jamais dû faire pour un homme. Mais Médée n’est pas une mortelle comme les autres. Jason l’apprendra à ses dépends. Sa nourrice ne le sait que trop bien, elle qui dira

Je la connais bien et je la redoute. Elle est terrible. Et qui s’en prend à elle aura fort à faire avant de chanter victoire.

J’ai eu le courage de ce qu’aucun mortel n’a jamais fait sur terre

le roi de Troie, Priam, suppliant Achille de lui rendre le corps de son fils, Hector

Pour venger la mort de Patrocle, le héros grec Achille tue le prince troyen Hector. Mais sa mort n’ayant épuisé ni sa rage, ni son chagrin, il fait subir à son cadavre des sévices quotidiens. Au péril de sa vie, le roi de Troie, Priam, descend de son trône, traverse le camp ennemi et vient s’agenouiller devant son pire ennemi pour lui faire une prière, non pas en qualité de roi, mais de père. 

Priam se dirigea tout droit vers l’habitation, à l’endroit où se plaisait à s’asseoir Achille aimé de Zeus. Il le trouva chez lui. Ses compagnons restaient assis à distance. Deux seulement, le héros Automédon et Alcimos rejeton d’Arès, près de lui s’affairaient. Il venait depuis peu d’achever son repas, ayant mangé et bu. La table était encore dressée auprès de lui.

Le grand Priam entra sans être vu par eux, s’arrêta près d’Achille, de ses mains lui saisit les genoux, et baisa les mains cruelles, meurtrières qui lui avaient immolé tant de fils. De même que, lorsqu’un homme, victime d’un irrésistible égarement, après avoir commis un meurtre en sa patrie vient se réfugier chez un peuple étranger, auprès d’un homme riche, la stupeur s’empare de tous ceux qui le voient ; Achille, de même, resta stupéfait à la vue de Priam semblable à un dieu. Stupéfaits aussi furent ses compagnons, et les uns cherchaient les autres du regard.

Priam alors, en suppliant Achille, lui adressa ces mots :
– Souviens-toi de ton père, Achille, semblable aux dieux ; il est du même âge que moi, sur le seuil ruineux de la vieillesse. Il se peut que les voisins qui l’entourent l’accablent aussi, et qu’il n’ait personne pour écarter de lui la ruine et le désastre. Mais lui cependant, en apprenant que tu vis, se réjouit en son coeur, et il espère, au cours de chaque jour, voir son cher fils revenir de Troade. Quant à moi, je suis au comble du malheur, car j’avais engendré dans la vaste Troade les fils les plus vaillants, et je dois avouer qu’aucun d’eux ne me reste. J’en avais cinquante, quand sont venus les fils des Achéens. Dix-neuf sortaient du même ventre, les autres, en mes demeures m’étaient nés d’autres femmes. De la plupart, l’impétueux Arès a brisé les genoux, et celui qui pour moi était unique, qui protégeait la ville et ceux qui l’habitaient, tu me l’as tué récemment, tandis qu’il combattait pour sauver sa patrie ; c’était Hector. Et maintenant, c’est pour lui que je viens vers les nefs achéennes, pour te le racheter, et je t’apporte des rançons innombrables. Or donc, Achille, respecte les dieux, et prends pitié de moi en songeant à ton père. Je suis encore plus à plaindre que lui, et j’ai eu le courage de ce qu’aucun mortel n’a jamais fait sur terre : porter jusqu’à ma bouche la main de celui qui tua mon enfant.

Ainsi parla-t-il, et il suscita chez Achille le désir de pleurer sur son père. En le touchant de la main, il écarta doucement le vieillard. Tous deux se souvenaient : l’un, songeant à l’homicide d’Hector, pleurait à chaudes larmes, prostré aux pieds d’Achille. Achille pleurait son père, parfois aussi Patrocle. Leurs plaintes s’élevaient à travers la demeure. Lorsqu’il se sentit saturé de sanglots, et que le désir en eut quitté ses entrailles et ses membres, le divin Achille se leva brusquement de son siège et redressa le vieillard en le prenant par la main, saisi de compassion pour sa tête chenue et son menton chenu.

Percy Jackson, Le voleur de foudre, Rick Riordan

Percy Jackson, une saga qui revisite la mythologie grecqueEn quête d’histoires revisitant la mythologie ? Avec sa saga Percy Jackson, l’auteur Rick Riordan s’amuse avec la mythologie grecque en mettant en scène des adolescents d’aujourd’hui en prise avec des dieux et créatures mythiques. Une lecture divertissante pour un lectorat adolescent et jeune adulte !

Les Etats-Unis, de nos jours.

Dyslexique, balloté d’établissement en établissement pour mauvais comportement, aimé par une mère adorable, mais en couple avec un beau-père détestable, Percy Jackson est un adolescent américain comme un autre avec son lot de problèmes. Du moins, c’est ce qu’il croyait jusqu’à ce que sa prof de maths se transforme littéralement en Furie pour l’éliminer. Suite à cette mésaventure, Percy Jackson découvrira qu’il est non seulement le fils d’un des dieux olympiens, mais qu’on l’accuse également d’avoir volé le foudre de Zeus.

Dans cette saga pour adolescents qui revisite la mythologie à la sauce moderne, les dieux grecs existent bel et bien et règnent encore sur les hommes. Les grandes forces incarnées par les dieux ont eu une grande influence sur le cours de l’Histoire et sont encore à l’œuvre . C’est d’ailleurs pour préserver la race humaine que les dieux ont pris la décision de ne plus s’acoquiner avec les mortel.les, car, comme l’Histoire l’a prouvé en frôlant de près la catastrophe, ces demi-dieux, une fois adultes, peuvent représenter un grand danger dans l’équilibre du monde… Une interdiction que les dieux ont bien du mal à respecter.

Un camp d’entraînement pour demi-dieux, une mission à accomplir pour éviter une nouvelle guerre entre les dieux et le chaos, des monstres ou encore une descente aux Enfers… Voici un aperçu des quelques joyeusetés mythologiques que l’auteur s’est plu à imaginer dans l’intrigue bien ficelée de ce tome 1 de l’univers de Percy Jackson.

Je donne Hadès pour époux à mon corps

Les Grecs ont renversé Troie et fait prisonnières les femmes survivantes. La mer ne leur permettant pas de reprendre la route, ils décident de sacrifier une princesse troyenne, Polyxène, pour calmer la colère du défunt Achille. Ulysse se rend auprès de la reine troyenne, Hécube, pour lui prendre sa fille. Polyxène sort du silence.


Découvrir Hécube, tragédie d’Euripide.      


Polyxène

Ulysse, je te vois qui caches sous ton manteau ta main droite et qui détournes ton visage pour m’empêcher de toucher ton menton.
Rassure-toi. Tu n’as pas à craindre que je te contraigne
en invoquant le Zeus des suppliants.
Je vais te suivre, et parce qu’il le faut,
et parce que je désire la mort. Si je m’y refuse,
je me révèle une femme lâche, trop attachée à la vie.
et quelle raison ai-je d’y tenir ? Mon père était le roi
de la Phrygie entière. Ainsi se passa mon enfance.
Puis je grandis, nourrie de beaux espoirs,
pour épouser un de ces rois qui enviaient l’honneur
de me faire entrer dans leur maison, à leur foyer.
J’étais reine, oui, moi, l’infortunée, entre les femmes de l’Ida.
Parmi les jeunes filles, c’était moi que tous regardaient,
égale aux déesses, sinon qu’il me faudrait mourir.
Et me voici esclave. Ce seul nom
me fait aimer la mort, tant j’y suis peu accoutumée.
Et je pourrais échoir à un maitre au coeur dur
qui m’aurait achetée au prix de son argent,
moi, la sœur d’Hector et de tant de héros !
Je serais à ses ordres, et je devrais chez lui faire le pain,
balayer le logis, rester debout à la navette,
souffrant jour après jour d’être contrainte ?
Un esclave acheté n’importe où toucherait à mon lit,
jugé jadis digne d’un roi ?
Jamais. Je rends la liberté au regard de mes yeux
en donnant Hadès pour époux à mon corps.
Conduis-moi donc, Ulysse, où tu dois m’achever,
car je ne vois autour de moi aucun indice
qui m’encourage à espérer quelque bonheur pour l’avenir.
Toi, mère, pour me retenir, ne dis rien, ne fais rien.
Sois d’accord pour me souhaiter la mort qui préviendra pour moi la déchéance.
Qui n’a pas appris le goût du malheur
porte le joug, sans doute, mais s’y meurtrit la nuque,
et la mort lui paraît préférable.
Qu’est-ce qu’une vie avilie ? Une longue misère.

Que nul de vous ne touche mon corps

Polyxène sacrifiée sur la tombe d’Achille dans la tragédie Hécube d’Euripide

Le messager Talthybios raconte à Hécube, la reine de Troie, le sacrifice de sa fille, la princesse Polyxène, sur la tombe d’Achille.


  Découvrir la tragédie Hécube, d’Euripide.  


Femme, tu le veux donc ? Je n’y gagnerai que de pleurer une seconde fois
sur ta pauvre enfant. En te disant sa fin
mes larmes vont couler, comme devant la tombe, quand elle succomba.
L’armée grecque était là réunie tout entière
Se pressant au tombeau pour assister au sacrifice.
Le fils d’Achille prit Polyxène par la main
et la fit monter au sommet du tertre. J’étais auprès de lui.
Une élite de jeunes gens nous suivaient, choisis parmi les Grecs,
pour retenir à deux bras ton agneau quand il bondirait.
Le fils d’Achille prend une coupe d’or toute pleine, et la tend levée
pour la libation à son père mort, puis me fait signe
d’ordonner le silence aux soldats rassemblés.
Et moi, debout au milieu d’eux, j’annonce :
« Achéens, silence ! Que tout le monde se taise,
plus un seul mot ! » La foule reste immobile.
Lui dit alors : « Fils de Pélée, mon père,
accepte de ma main ces libations qui apaisent
et attirent les morts. Viens boire ce sang noir et pur,
ce sang de vierge que nous t’offrons,
l’armée et moi. Sois-nous propice.
Permets-nous de lâcher la bride à nos vaisseaux.
Accorde-nous d’accomplir tous heureusement
le voyage d’Ilion vers notre patrie. »
Toute l’armée à ces paroles éleva sa prière.
Il prit la poignée de son épée garnie d’or,
la tira du fourreau et fit signe de saisir la vierge
aux jeunes Grecs choisis pour cela dans l’armée.
Mais elle, comprenant leur dessein, leur dit :
« Grecs qui avez détruit ma patrie,
j’ai accepté de mourir. Que nul de vous ne touche
mon corps. Je présenterai ma gorge, courageusement.
Au nom des dieux, laissez-moi libre pour me frapper,
et que libre je meure. Chez les morts,
être nommée esclave, moi, une reine ? Honte sur moi ! »
Tandis que nos gens l’acclamaient, le roi Agamemnon
dit aux jeunes gens de lâcher la vierge.
Dès le dernier mot, ils avaient obéi
à l’ordre de celui dont le pouvoir est souverain.
Ayant entendu la parole du maître,
elle déchira sa robe de l’épaule au nombril,
révélant ses seins et sa poitrine de statue,
parfaitement belle ; puis, se mettant à genoux,
elle dit, avec une fermeté inouïe :
« Voici ma poitrine, jeune roi. Si tu dois la frapper, frappe.
Si c’est au cou, voici ma gorge prête. »
Lui hésitait, tant il avait regret pour cette enfant,
puis il trancha de son couteau le passage du souffle
et une source jaillit. Jusqu’en mourant,
elle eut souci de ne tomber qu’avec décence,
cachant ce qui est interdit aux yeux des mâles.
Quand sous le coup fatal elle eut rendu son âme,
tous les Grecs à l’envi s’empressèrent.
Les uns jetaient sur son corps, par brassées, des feuillages.
Les autres chargeaient le bûcher de troncs de pin.
Et celui qui n’apportait rien s’entendait blâmer par ses voisins.
« Tu restes là, sans coeur, et les mains vides,
sans un tissu, une parure à donner à la jeune fille ?
Vite une offrande pour honorer ce grand courage,
cette noblesse sans égale ! » Te décrire ainsi la mort de ta fille,
c’est voir en toi la plus glorieuse des mères,
la plus malheureuse des femmes. »